Renvoi des étrangers criminels

« Quatre ans après son adoption par le peuple en novembre 2010, l’initiative populaire de l’UDC « pour le renvoi des criminels étrangers » n’en finit pas d’occuper les autorités, qui rencontrent des difficultés quasi-insurmontables pour l’appliquer. En juin 2013, le Conseil fédéral adopte un message pour l’application de l’initiative, privilégiant une « voie médiane » qui respecte dans les grandes lignes le principe de proportionnalité; l’automatisme des expulsions serait respecté mais assorti d’une réserve de proportionnalité pour les condamnations de moins de six mois – on appelle cela un régime d' »automatisme modéré ». En octobre 2013, coup de théâtre. La délégation du groupe libéral-radical obtient de la CIP d’examiner la mise en oeuvre de cette initiative en utilisant un copier-coller de l’initiative dite « de mise en oeuvre » que l’UDC avait lancée en 2012. A la suite d’une poussée de fièvre « complotiste », l’UDC avait en effet déposé sa nouvelle initiative dite « de mise en oeuvre » pour forcer les autorités à appliquer strictement son initiative de 2010. Selon celle-ci, l’expulsion automatique s’applique sans exception et sans considération aucune de la situation personnelle du condamné. La nouvelle loi d’application qui vous est présentée aujourd’hui, voulue par le groupe UDC et le groupe libéral-radical, pose deux problèmes de fond; il y a une erreur de raisonnement fondamentale derrière cette loi. D’abord, elle ne laisse aucune place pour le juge, qui devrait violer systématiquement le principe de proportionnalité pour l’appliquer. Non seulement le législateur court-circuite le pouvoir judiciaire, mais, en plus, il lui demande de violer systématiquement l’Etat de droit. Cela ne change rien que ce soit par le biais d’une loi ou par le biais de la Constitution. Ensuite, la nouvelle loi intègre une définition très restrictive du droit international. En bref, la loi doit primer sur tous les principes autres que le non-refoulement. Avec cette loi, tous les principes en lien notamment avec l’unité de la famille ne seraient pas pris en compte. Néanmoins, ceci a été corrigé par la commission. Il faut espérer que cette proposition de loi, entérinée par la commission, ne soit pas suivie par votre plénum. Au-delà de son implication concrète sur les personnes, notre Parlement créerait un précédant funeste dans l’histoire des institutions suisses. Pour la première fois, notre Parlement soutiendrait un projet totalisant, profondément liberticide, et qui va donc grossièrement à l’encontre de l’Etat de droit. En faisant prévaloir la volonté du peuple sur le principe de proportionnalité, vous vous accommoderiez, au prix de grandes errances, de violations diffuses du droit international, d’une vision totalitaire de la volonté populaire et d’un rejet constant et brutal de toute volonté de justice pour les personnes concernées. Cette affaire constitue une illustration emblématique de la difficulté extrême que rencontrent aujourd’hui nos institutions à poser des principes de fonctionnement constitutionnel clairs, à savoir premièrement, c’est qu’en démocratie, le peuple est un organe de l’Etat, ce n’est pas le chef. Constitutionnellement, le peuple est un organe de l’Etat. Même s’il est symboliquement très important, il doit se soumettre aux règles. Et il n’y a pas de place pour le désordre à ce niveau du jeu démocratique. Les règles du jeu sont faites ainsi. Pour que la démocratie politique fonctionne, tout organe, y compris le peuple, doit être soumis à la séparation des pouvoirs. Le peuple ne saurait outrepasser ses compétences en violation de cet ordre juridique de base. En l’occurrence, les juges sont tenus de s’abstenir de toute expulsion arbitraire et respecter le principe de proportionnalité quoiqu’en dise une loi émise par le Parlement. Les règles du jeu en démocratie sont faites ainsi. Le Parlement n’a pas le droit de grignoter le contre-pouvoir des juges. Du point de vue juridique, pour que ça fonctionne dans la durée, les processus de renvois requièrent nécessairement un équilibre constant des deux ordres juridiques, le droit international et le droit interne. Deuxièmement, au-delà de son aspect idéologique et de son utilisation politique parfois assimilée à un label, l’Etat de droit tend à soumettre tous les pouvoirs au principe de proportionnalité. Mesdames et messieurs du centre droit, vous ne pouvez pas agiter « l’Etat de droit » comme un petit fanion lorsque cela vous arrange – comme c’est le cas pour l’initiative sur les pédophiles par exemple – et l’oublier lorsque cela vous arrange aussi. On ne peut pas choisir. L’Etat de droit, c’est un principe absolu qui s’applique à tous les organes de l’Etat et à tout le monde. Cela veut dire que dans un Etat régi par le droit, la fin ne justifie pas tous les moyens. Pour le bien de l’Etat, tout n’est pas forcément possible. Par voie de conséquence, en promulguant une loi qui viole ce principe de proportionnalité, vous ouvrez justement la porte à tous les possibles. L’Etat de droit est le patrimoine juridique le plus précieux de notre démocratie. Il a été construit progressivement, consciencieusement. On ne le brade ni par le biais d’une loi, ni par le biais de la Constitution. Pour ces raisons fondamentales, le groupe socialiste vous invite à soutenir la variante proposée par le Conseil fédéral. »

Références et liens

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