Pour une Suisse solidaire et ouverte à l’Europe

Un laisser-faire coupable

L’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» a surpris. Ce vote exprime un sentiment de repli face aux mutations imposées par la globalisation libérale. Les transformations du «swiss way of life» ont affaibli les défenses d’une partie de la collectivité qui se sent menacée par le dumping salarial, par la pénurie de logements et par l’évolution générale de la société, qu’elle subit plus qu’elle ne la modèle.

Ce repli s’est construit peu à peu à l’ombre des transformations sociales, territoriales et technologiques. L’absence de planification et de prévision a découragé une part de plus en plus importante de la population. A défaut de donner satisfaction à la population avec des mesures sociales et économiques, la majorité du Conseil fédéral a cherché à séduire par des postures de fermeté contre les migrants.

Faute d’une action fédérative rapide autour d’un projet de renouvellement de nos relations avec l’UE intégrant toutes les problématiques, une majorité pourrait être tentée de suivre les nationalistes: détérioration des relations avec l’UE, suppression de la libre circu-lation, retour au statut de saisonnier, réduction de la main-d’oeuvre, entraves au regroupement familial, etc. Les conséquences du vote ne doivent pas être sous-estimées: isolement dans les domaines touchés par les accords bilatéraux, récession économique et démantèlement des droits des migrants.

Dans ce contexte fébrile, il n’y a pas à céder un quelconque terrain à la droite nationaliste.

D’abord parce qu’une majorité de Suisses est attachée au maintien des accords bilatéraux avec l’UE. Elle l’a dit à chaque fois qu’elle a été appelée à se prononcer directement sur nos rapports avec l’UE. Ensuite parce que la décision des urnes a été obtenue au prix d’une grande confusion. L’UDC a vendu son initiative comme la manière de régler l’immigration sans rompre avec l’UE, il faut donc l’interpréter ainsi.

Une Suisse sociale dans une Europe sociale

Au coeur de l’Europe, la Suisse a son destin historiquement, économiquement et culturellement lié aux Etats de notre continent et à la communauté qu’ils forment. Il n’y a pas d’avenir pour la Suisse, sa population et son économie à se construire contre ou en marge de l’Europe politique. Face à l’insécurité sociale générée par la mondialisation libérale, source d’incertitudes individuelles sur l’emploi, la pérennité du logement, son coût, l’accès aux soins ou à la formation, il n’y a qu’une seule réponse en Europe et en Suisse: des politiques créatrices d’emplois et redistributives. Le projet européen de paix, de progrès et de prospérité partagée ne  survivra pas sans une réelle et rapide dimension sociale. C’est la seule voie crédible pour un nouvel élan en faveur de la jeunesse et pour l’ensemble des citoyens. C’est aussi l’enjeu des élections européennes de mai prochain. En ce sens, il importe de se mobiliser, y compris en Suisse car, sur les 1,75 million de citoyens européens sis en Suisse, près de 1,2 million peuvent participer aux élections européennes, soit un nombre supérieur aux électeurs de certains Etats de l’UE, sans compter le demi-million de Suisses double-nationaux.

Reconstruire un partenariat fiable avec l’UE

Le seul projet viable pour notre pays est celui d’un partenariat fiable avec l’UE. Ce partenariat est appelé à évoluer au cours du temps et donc à prendre diverses formes, dont l’adhésion. Depuis 2002, il se décline à  travers des accords bilatéraux. Construit patiemment, ce partenariat a été pris en otage et remis en cause lors du vote du 9 février. Le risque de voir nos liens avec l’UE se désagréger est donc réel.

Ainsi, il est nécessaire de promouvoir avec l’ensemble des forces politiques et sociales ouvertes à l’Europe une stratégie permettant une reprise rapide des négociations avec l’UE autour de la question -institutionnelle, les dossiers ouverts relatifs au marché intérieur, les mesures d’accompagnement en y intégrant la mise en oeuvre de la libre circulation des personnes au regard des préoccupations exprimées lors du vote du 9 février dernier.

Refuser le démantèlement des droits des migrants

La libre circulation des personnes (ALCP) est un acquis fonda-mental, en particulier pour l’égalité des droits, le développement humain et le regroupement familial. Une politique migratoire qui donne les mêmes chances à tous les types de travailleurs et qui combat les discriminations et la migration de classe doit être défendue. Toute réintroduction du statut du sai-sonnier, indigne et contraire à nos engagements internationaux, doit être écartée. Idem pour tout nouveau système qui provoquerait une augmentation du nombre de sans-papiers. La situation actuelle risque de provoquer par ricochet un dé-mantèlement des droits des migrants extra-européens. Le droit d’asile doit être impérativement -détaché de tout système de régulation migratoire. Les mouvements de population issus des crises humanitaires sont incompatibles avec une quelconque planification de contingents.

Les réformes nécessaires à tout partenariat solide avec l’Europe

Dès juin, le pays va vivre durant les trois prochaines années avec un système de libre circulation complet, excepté avec la Bulgarie, la Roumanie et évidemment la Croatie. Compte tenu des préoccupations populaires, un contrôle qualitatif – et non quantitatif – de la libre circulation devient plus que jamais nécessaire. Des mesures d’accompagnement, soit des réformes nationales, doivent être rapidement adoptées par le Conseil fédéral dans les domaines de l’emploi, du logement, de la formation, de la fiscalité et de l’aménagement du territoire. Seules ces mesures permettront à l’ensemble de la collectivité de récolter les fruits de l’ouverture et de la croissance, de construire un partenariat fiable avec l’UE largement accepté au sein de la population.

Rétablir la confiance en signant pour la Croatie

Rétablir la confiance auprès de l’UE est une nécessité. L’extension de l’ALCP à la Croatie doit vite être réglée. Pour réintégrer le programme de recherche Horizon 2020 et Erasmus et ainsi relancer les négociations sur les différents dossiers du marché intérieur, le Conseil fédéral doit signer le protocole III sur la Croatie et transmettre sa ratification au Parlement avec le résultat des négociations dès lors que l’ALCP pourrait être adapté. Si le nouvel article constitutionnel interdit la signature de tout nouvel accord contraire à la logique des contingents, il ne prohibe pas l’adaptation d’accords existants à la modification de la composition de l’une ou l’autre des parties. Une mise en oeuvre du protocole sans le signer serait difficilement acceptable pour l’UE et conforterait au surplus l’idée d’un Alleingang, déjà balisé par les mesures d’urgence décidées par le Conseil fédéral concernant Erasmus+ et Horizon 2020.

Fédérer autour de l’ouverture sur l’Europe

La votation sur la question migratoire a pris en otage la question de nos relations avec l’UE. Vu la tension irréconciliable que génère la mise en oeuvre du nouvel article constitutionnel, avec les autres obligations de politique extérieure, ce que les faits démontreront rapidement, et la nécessité d’un nouveau cadre institutionnel avec l’UE, il est inéluctable de revenir à nouveau devant le peuple avec un projet constitutionnel et un paquet de mesures législatives.

Cette démarche doit se construire de manière à intégrer le nouveau pacte social nécessaire à la poursuite de nos relations avec l’UE. Il devra aborder à tout le moins les principes d’un partenariat formalisé et évolutif n’excluant pas la perspective d’adhésion, la contribution aux mécanismes européens de solidarité, la participation aux programmes de recherche et de formation, et être accompagné d’un train de mesures qui protègent efficacement les salaires et les conditions de travail en usage en Suisse ainsi que les conditions de vie, notamment de logement, des habitants de notre pays.

Références et liens

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