Dans le cadre des débats au sein du parti autour du papier « Pour une politique migratoire globale et cohérente », la présente contribution vise à dresser un bref état des lieux sur la situation des sans-papiers tout en esquissant des pistes permettant de réconcilier cette réalité avec un projet politique de gauche en matière migratoire.
Selon les estimations d’experts, l’économie suisse compte entre 50’000 et 300’000 migrants extra-européens séjournant dans l’illégalité.[1] Parmi eux, on dénombrerait entre 10 à 30% d’enfants. Avec un taux de 2.4% de la population totale considérée comme sans-papiers, la Suisse se place ainsi en comparaison européenne parmi les pays où le nombre de sans-papiers est très important par rapport au reste de la population.[2] Cette présence en nombre de personnes apparemment sans-droits et sans existence officielle soulève d’importantes questions de dignité et de liberté humaine pour les migrants concernés. Leur parcours migratoire est en effet vécu de manière anxiogène sur le très long terme. Ceci les précarise gravement tant sur le plan social que sanitaire. Cette présence pose également de sérieux problèmes de sécurité juridique en lien avec les décisions d’autorisations et de renvois prises par les autorités de police des étrangers (inadéquation entre un nombre trop important de décisions de renvois et les moyens concrets pour les exécuter). Cette tension est aussi néfaste pour la crédibilité et la cohérence de l’action publique de l’Etat.
Les choix migratoires de la droite
Le déni de réalité n’est pas la réelle explication de l’impasse politique actuelle. Derrière le refus de la droite à trouver des solutions, on trouve en effet des enjeux plus idéologiques et plus profonds, à savoir le risque de devoir revenir sur des choix de politique migratoire jugés essentiels pour la droite et qui sont au nombre de trois :
– le choix de la migration d’élite pour les migrants extra-européens (article 23 LEtr) ;
– la suppression de tout statut – même celui de saisonnier – pour les migrants faiblement qualifiés ;
– le refus d’un mécanisme souple de régularisation pour les sans-papiers (article 30 al. 1 let. b LEtr, article 31 OASA).
Dans ce contexte, il s’agit pour le PS d’ouvrir des brèches qui prennent le contrepied de ces choix idéologiques.
Politique de recrutement actif de tous les types de travailleurs migrants
Les contingents délivrés aux cantons par la Confédération pour la migration extra-européenne, doivent être utilisés pour tous les types de travailleurs migrants dont l’économie a besoin et pas uniquement pour les travailleurs hautement qualifiés. Ceci passe par une modification de l’article 23 LEtr qui consacre une conception plus souple et non discriminatoire du critère de la qualification pour les migrants extra-européens. Cette ouverture progressive à tous les types de travailleurs migrants passe également par des choix stratégiques en matière de partenariats migratoires. Ainsi, la Suisse doit privilégier des collaborations internationales multilatérales avec les pays qui souhaitent défendre la mobilité de tous les types de travailleurs. Les associations de pays comme le NAFTA ou l’accord GATS OMC qui cherchent à privilégier uniquement la libre circulation des élites est à proscrire. Par contre, les associations avec des pays comme le MERCOSUR qui ont signé la Convention de l’ONU de 1990 pour la protection de tous les travailleurs migrants est clairement souhaitable. En ce sens, la Suisse devrait signer cette Convention pour consolider les droits socio-économiques de tous les travailleurs sans-papiers pour garantir tous les droits (formation, social, économique, etc.).
Nouveau mécanisme de régularisation au cas par cas
Le prétendu enjeu entre « régularisation collective » et « régularisation au cas par cas » est un faux débat. La « régularisation collective » se réfère à un programme de régularisation ciblé sur une catégorie spécifique de sans- papiers et limité dans le temps. La « régularisation au cas par cas » est pour sa part un mécanisme de régularisation permanent avec des critères en général plus souples qui ne ciblent pas sur une catégorie particulière de sans- papiers. Les deux systèmes sont des « correctifs » qui existent partout en Europe et déploient sur le moyen terme des effets similaires. Dans les deux cas, il faut surtout pouvoir disposer de critères justes de régularisation (durée du séjour, preuve d’emploi, etc.). L’enjeu essentiel est à ce niveau.
En Suisse, le mécanisme de régularisation actuel est extrêmement restrictif dans la mesure où le TAF considère que l’octroi d’un cas de rigueur est exceptionnel.[3] Le critère de la « bonne intégration », qui est déterminant pour l’application des dispositions relatives au cas de rigueur (article 31 al. 1 let. a OASA), est appliqué de manière totalement aléatoire en fonction des autorités et des cantons. Face à ce constat d’échec du système actuel de régularisation, il faut instaurer un système de critères objectifs et se débarrasser de tous les subterfuges utilisés par les juges et les autorités administratives aujourd’hui pour freiner les régularisations de manière arbitraire et disparate. Pour limiter le discrétionnaire des autorités, deux seuls critères sont à défendre : l’installation durable (même illégale) de cinq ans sur le sol suisse et l’absence d’antécédents judiciaires justifient en soi un cas de
rigueur et l’octroi d’une autorisation de séjour. En effet, une telle durée implique une intégration de fait qui est attestée par les travaux, liens, réseaux, famille, services, échanges et autres apports que les migrants concernés créent dans notre pays. L’intégration se pose aux nouveaux arrivants et pas à des personnes qui travaillent depuis cinq ans dans notre pays.
Nouvelles garanties en matière de lutte contre le travail au noir
La lutte contre le travail au noir doit essentiellement sanctionner les patrons indélicats et non les travailleurs sans-papiers que ceux-ci exploitent. Aujourd’hui, un travailleur sans-papiers découvert par la police et qui souhaite faire valoir ses droits auprès des prud’hommes ne dispose pas du temps nécessaire pour constituer son dossier et contacter un mandataire ou son syndicat. Les autorités de police qui exécutent le renvoi ne prennent pas en compte cet aspect. C’est pourquoi, il faut permettre en cas d’abus manifeste de l’employeur de délivrer durant le temps de la procédure prud’hommale des autorisations de séjour de courte durée (article 30 al. 1 let. d LEtr) à tous les sans-papiers comme cela existe déjà pour les danseuses de cabaret. Par ailleurs, le mécanisme d’annonce entre autorités de police des étrangers et assurances sociales dès qu’un cas de sans-papiers est découvert doit être supprimé (article 12 LTN).
Les propositions ci-dessus sont sensiblement différentes de celles figurant dans le papier de la direction du PSS (n° 30, 135 à 139, 142 bis). D’abord, il y a une volonté de changer le choix de la migration d’élite par la suppression du critère de qualification dans la loi. Pour défendre une couverture maximale des droits socio-économiques des migrants, la signature par la Suisse de la Convention de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants est sollicitée. Ensuite, les critères de régularisations choisis sont objectifs et ne sont plus susceptibles de laisser une large marge de manœuvre aux autorités. Enfin, il est prévu des nouvelles modalités de protection des sans-papiers concernant la lutte contre le travail au noir.
[1] Cf. Forschung für Politik, Kommunikation und Gesellschaft (GFS), Sans- Papiers en Suisse: c’est le marché de l’emploi qui est déterminant, non pas la politique d’asile, Rapport final sur mandat de l’ODM, Berne 2005, p. 9. Cf. également Etienne Piguet qui parvient au chiffre de 100 000 ; Etienne Piguet, L’immigration en Suisse. 60 ans d’entreouverture, 2ème édition, Le Savoir suisse, Lausanne, 2009, p. 125.
[2] Martin Baldwin-Edwards, Albert Kraler, Regularisations in Europe. Study on practices in the area of regularisation of illegally staying third-country nationals in the Member States of the EU, REGINE, Final Report, Vienne 2009, pp. 37 et 41.
[3] ATF 124 II 110 consid. 2, ; ATF 128 II 207 consid. 4 ; ATAF 2007/45 consid. 4.3 ; ATAF 2007/44 consid. 4.2.