Loi sur la nationalité : une attaque en règle contre les jeunes

La forte proportion d’étrangers en Suisse (plus de 20%) s’explique non seulement par la forte immigration mais également par les obstacles importants de la procédure de naturalisation. Il y a encore quelques années les conditions nécessaires à la naturalisation étaient en effet plus restrictives qu’aujourd’hui en comparaison internationale. Depuis la révision de 1992, le taux de naturalisations a progressivement augmenté de manière à rejoindre celui observé dans l’Union européenne. Quant au triple refus en 1983, 1994 et 2004 par le peuple d’accorder la naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers, il n’a pas contribué à bloquer cette évolution. Par ailleurs, la Suisse souffre d’importantes disparités entre les régions. Les cantons pouvaient attribuer jusqu’en 2003 les naturalisations à des autorités très diverses et même aux électeurs sans avoir à motiver leurs décisions. Le corps électoral pouvait ainsi prendre connaissance des informations privées sur les candidats, traiter de façon différente ceux qui correspondaient pourtant aux mêmes critères et agir de manière discriminatoire envers les personnes de certaines ethnies. Le Tribunal fédéral a mis un terme à la naturalisation par les urnes en garantissant des décisions motivées et le droit de recours.

Le 13 mars prochain, la nouvelle révision de la loi sur la naturalisation qui sera discutée au Conseil national marque clairement un changement d’orientation de sorte à réduire le nombre de naturalisations d’au moins 10% (de 35’000 à moins de 30’000 naturalisations par an). L’objectif affiché du Conseil fédéral a l’air a priori sans réelle conséquence. Il s’agit pour lui d’harmoniser et de simplifier les procédures, d’éviter les doublons administratifs et de garantir que seuls les étrangers qui sont « bien intégrés » obtiennent la nationalité suisse. La nouvelle loi devrait ainsi définir ce qu’on entend par « intégration réussie » et par « connaissance d’une langue nationale » sur le plan national, réduire la durée de résidence afin d’encourager une intégration « rapide », restreindre l’éligibilité aux résidents de longue durée et introduire des délais pour accélérer les procédures.

Dans les faits, le projet limitera de manière drastique l’accès à la procédure de naturalisations aux jeunes étrangers. Dans le viseur, il y a surtout les jeunes détenteurs de permis F, des personnes dites « admises provisoires » dont le renvoi au pays d’origine n’est pas exigible en raison notamment de situations générales de violence (Syriens, Afghans, Somaliens, Erythréens, Irakiens, Sri-Lankais). La première mesure contre ces jeunes prévoit que l’autorisation fédérale de naturalisation ne peut être octroyée qu’à des titulaires d’un permis d’établissement (permis C). La deuxième mesure est d’instaurer une nouvelle règle pour calculer la durée du séjour effectué en Suisse préalablement à la demande de naturalisation qui ne tienne pas compte des années vécues au bénéfice d’une admission provisoire. Ceci entraîne des délais considérables pour certaines catégories d’étrangers, en particulier pour les jeunes détenteurs de permis F.

Aujourd’hui, environ 500 personnes titulaires d’un permis F obtiennent chaque année leur naturalisation. Plus de 80% d’entre elles ont moins de 25 ans. Bien souvent, les jeunes concernés n’ont pas d’accès au permis de séjour (B), puis d’établissement (C). Malgré leur intégration réussie, ils proviennent de familles qui sont dépendantes de l’aide sociale et cette situation ne leur permet pas de se voir attribuer un permis de séjour, et encore moins un permis d’établissement. La précarité sociale des parents bloque la consolidation du statut de séjour de ces jeunes qui en subissent fortement les conséquences au plan professionnel et social. Entreprendre un apprentissage et/ou trouver un emploi avec un permis F constitue un problème presqu’insoluble compte tenu des exigences particulières liées à la prise d’emploi pour cette catégorie de personnes étrangères. Ainsi, le refus de prendre en compte ces années de séjour en Suisse et de leur bloquer l’accès à la procédure est parfaitement cynique et contreproductif : on immobilise de manière durable leur progression. Pourtant – malgré la précarité de leur statut –, ces jeunes font des efforts souvent considérables pour s’en sortir. Les chiffres actuels en matière de naturalisation l’attestent. Limiter l’octroi du passeport suisse aux seuls permis C, c’est d’office mettre la vie de ces jeunes entre parenthèses. Faire tomber dans l’impasse des centaines de jeunes détenteurs de permis F doit être comprise comme une fissure supplémentaire de la cohésion du pays. Priver ce dernier de ses forces vives dont ces jeunes font partie est tout simplement inadmissible.

 

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