Soumise au peuple le 9 février prochain, l’initiative « contre l’immigration de masse » vise la mise en place d’un régime de contingents et la fin de l’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne. Les initiants veulent bricoler une politique migratoire fondée sur des contingents globaux. Ne pouvant fonctionner qu’avec une rotation de main d’œuvre, ce système nous ferait revenir 50 ans en arrière. Au temps où les saisonniers n’avaient aucun droit, cachaient leurs enfants et étaient exploités sans vergogne.
Si la Suisse a abandonné cet instrument, c’est parce qu’il était dépourvu d’humanisme et dangereux pour son économie. Ce système impliquerait en effet une très lourde planification étatique du nombre de permis et un arbitrage sauvage entre les demandes concurrentes des différents secteurs de l’économie, du droit d’asile et de toutes les catégories de personnes qui s’inscrivent dans la mobilité (étudiants, regroupement familial, retraités, fonctionnaires internationaux, nouvelles naissances).
Quand ce système inique était encore en vigueur, le Conseil fédéral a cherché à maintes reprises à l’améliorer sans succès. D’abord en 1963, il instaure un système de « plafonnement simple » qui prévoit une limite des permis pour chaque entreprise de 2% puis de 3% de l’effectif total. La tentative de réduction est inefficace puisque le nombre de travailleurs étrangers s’accroît de 80’000 personnes entre 1963 et 1964. Puis en 1965, le Conseil fédéral tente en vain un système de « double plafonnement » pour à la fois réduire le nombre de travailleurs étrangers à 5% dans chaque entreprise et bloquer l’effectif d’ensemble des travailleurs étrangers. Quant à l’Arrêté de 1968 portant sur la réduction des étrangers qui vise une diminution de 3% des étrangers en 1968 et de 2% pour 1969, il constitue un échec retentissant puisque l’expérience se solde par une augmentation durant ces deux années de 4.8% du nombre de personnes étrangères.
Enfin, le système du « plafonnement global » instauré en 1970 reposant sur des quotas d’admission annuels n’est pas plus convainquant. Les saisonniers passent durant cette période de 152’000 en 1970 à 200’000 en 1973. Quelques années plus tard, le système des contingents parvient à ses limites de sorte que toutes les forces politiques dans leur ensemble finissent par le rejeter lorsqu’en 1989 un rapport d’experts défend l’instauration d’un « solde migratoire unique » ressemblant en tous points à l’initiative proposée aujourd’hui par l’UDC.[1]
Malgré son absurdité, le risque que cette initiative passe est bien réel. Les cantons métropolitains sont confrontés à d’importants défis relatifs à la gestion de la croissance démographique et économique en lien avec les infrastructures, les logements et surtout la sous-enchère salariale. Voyant leurs revenus reculer à cause notamment de la hausse des loyers et des primes d’assurance-maladie, une partie importante de la population dit son ras-le-bol face aux conséquences du libéralisme économique dont la libre circulation des personnes est l’une des principales expressions. Cette donne est en train de reconfigurer les rapports de force politiques. Car si notre modèle de croissance produit des richesses et fait venir efficacement des personnes étrangères spécifiques dont nous avons besoin, reste à insuffler une nouvelle politique répondant réellement aux besoins de la population.
Au-delà des discours moralisateurs et lénifiants sur l’ouverture, il nous faut prendre au sérieux cette indignation sociale. Le renforcement des mesures d’accompagnement est la réponse à ce défi. La droite économique ferait bien de s’en rappeler. A défaut, les lendemains pourraient bien sensiblement déchanter au soir du 9 février 2014.
[1] Sur ces questions, cf. Hans Mahnig et Etienne Piguet, La politique suisse d’immigration de 1948 à 1998 : évolutions et effets, in : Hans-Rudolf Wicker, Rosita Fibbi, Werner Haug (dir.), Les migrations et la Suisse, Zurich 2003, pp. 66 ss ; Etienne Piguet, L’immigration et la Suisse, Lausanne 2004, pp. 21 ss; Dario Gerardi, La Suisse et l’Italie 1923-1950, Neuchâtel 2007.