Initiative UDC pour l’élection du CF par le peuple: une revendication pertinente, une réponse qui ne l’est pas

L’élection du Conseil fédéral par le peuple est une question récurrente de la vie politique suisse depuis l’élaboration de la première Constitution. Ecartée de justesse en 1848, elle a été proposée et rejetée à deux reprises à la suite d’initiatives populaires socialistes, en 1900 et 1942. La question revient aujourd’hui avec une initiative UDC intitulée « Election du Conseil fédéral par le peuple » qui sera soumise au peuple le 9 juin prochain.

Autant le dire tout de suite, nous pensons que l’élection du Conseil fédéral par le peuple est une question légitime et juste. Tous les cantons procèdent de la sorte, y compris les plus grands (Zurich, Berne) et les plus complexes du point de vue linguistique et confessionnel (Berne, Grisons). Et s’il est vrai que l’élection populaire peut mener à des gouvernements dysfonctionnels, on peut opposer tout aussi valablement que le mode actuel d’élection du Conseil fédéral n’a pas évité des erreurs de casting en série par le passé, dont certaines sont encore dans toutes les mémoires.

Face à cet enjeu de taille, l’initiative UDC comporte de nombreuses faiblesses. La question de la campagne électorale en cas d’élection du gouvernement fédéral par le peuple est des plus épineuse. Une élection au Conseil fédéral étant d’ampleur nationale – ce serait la seule élection de ce type –, la campagne serait avant tout menée via les mass-médias. La diversité du paysage médiatique suisse permettrait une couverture équitable de la campagne, même si on n’éviterait pas quelques biais régionaux. Le mode de financement des campagnes pose pour sa part un problème autrement plus grave, car seules les grandes formations politiques, celles qui sont convenablement financées, pourraient mener campagne « à armes égales » – et tout le monde sait que dans ce match, certaines formations sont plus égales que d’autres… Il manque ici clairement une loi de financement des partis et des campagnes politiques à la démocratie suisse, par ailleurs si exemplaire.

Une autre faiblesse réside dans le maintien du système majoritaire pour l’élection à l’exécutif fédéral. Actuellement, les formations politiques de taille moyenne (verts, verts libéraux, PBD selon les cantons) souffrent d’un système majoritaire trop favorable aux grandes formations. Avec la recomposition des forces politiques qui a eu lieu ces quinze dernières années, quatre des six groupes parlementaires actuels se considèrent mal représentés. Ceci dans un environnement où l’échiquier politique tend encore à se diversifier. Dans ce contexte, on aurait pu imaginer que l’élection se fasse au système proportionnel, comme au Tessin, pour garantir une meilleure représentativité des différents courants politiques suisses et offrir ainsi à la population un choix plus diversifié.

Ceci étant, entrons dans le vif du sujet. L’élection populaire du Conseil fédéral tel que proposée par l’UDC est un système mal conçu en lien, notamment, avec la représentation des régions linguistiques que les cantons ne connaissent pas réellement à ce niveau d’intensité.

L’initiative propose d’appliquer pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple le système d’élection au Conseil-exécutif du Canton de Berne en le transposant au niveau fédéral. Or, la transposition de ce système à l’échelon fédéral par la constitution d’une circonscription regroupant les aires linguistiques francophones et italophones de la Suisse pose à notre sens plusieurs problèmes.

En premier lieu, la circonscription latine telle que définie dans l’initiative amalgame la Suisse romande et la Suisse italienne, dont l’électorat est environ quatre fois moindre. Or, comme on vient de le voir en Valais, si la représentation linguistique est menacée, l’électorat fait bloc derrière ses candidats. Nous sommes malheureusement certains qu’en cas de candidatures émanant tant de Suisse romande que du Tessin, c’est ce qui se produirait : dans le cadre de cette initiative, un siège tessinois ne peut se concevoir, pratiquement, qu’au dépens de l’un des deux sièges romands. Or, le rapport de forces entre romands et italophones (4 à 1) est tel qu’au sein de la circonscription latine, les romands sont pratiquement certains d’imposer leurs candidats – le seul moyen, dès lors, pour la Suisse Italienne d’obtenir un siège étant de le faire imposer aux romands par l’élection générale, c’est-à-dire par les alémaniques. Pratiquement – sinon de droit –, le mécanisme exclu la possibilité d’élire un conseiller fédéral provenant de la Suisse italienne, sauf à le faire aux dépends des romands. Cette disposition introduit de la sorte un ferment de dissension entre francophones et italophones.

Ensuite, l’initiative institue une circonscription latine, d’ailleurs taillée au mépris de l’histoire et des cantons, qui se voit garantir deux places dans les sept du Conseil fédéral. En revanche, pas de circonscription alémanique : leur place au Conseil fédéral n’est donc pas garantie. Cela introduit, de manière insidieuse, une inégalité constitutionnelle entre alémaniques ne bénéficiant pas de la garantie constitutionnelle, et latins qu’il faut protéger. Cela va totalement à l’encontre du principe selon lequel la Suisse est un  pays formé de communautés diverses et variées, mais strictement égales entre elles. Cette inégalité introduit en effet deux catégories de citoyens.

Enfin, la circonscription latine pèserait entre 25% et 30% de l’électorat du pays. Il s’agit là d’une part suffisante pour influer significativement sur le résultat final de l’élection. En revanche, le système électoral proposé a pour résultat que les deux sièges latins seraient essentiellement désignés par le résultat de l’élection dans la circonscription latine. En d’autres termes, l’électorat alémanique ne jouerait pas de rôle significatif dans l’élection des conseillers fédéraux latins, alors que l’électorat latin jouerait un rôle significatif dans l’élection des conseillers fédéraux alémaniques. Cela nous semble introduire une discrimination de fait entre les électeurs des deux régions germanophone et latine.

En conclusion, il importe de rappeler que l’un des problèmes institutionnels les plus délicat que traverse notre pays depuis 1999 concerne la représentation de la Suisse italienne au Conseil fédéral. Le nombre actuel de conseillers fédéraux ne permet pas de régler ce problème tout en respectant la représentation romande et la proportionnalité entre les langues. Parvenus à ce stade, on ne peut s’empêcher de revenir à l’initiative de 1942, laquelle instituait l’élection par le peuple d’un Conseil fédéral à neuf membres dont au moins trois latins et au moins cinq alémaniques – une solution qui, à une modification près, c’est-à-dire le splitting de la garantie des trois sièges latins en deux sièges romands et un italophone, permettrait de régler tous les problèmes que nous venons de mentionner. On se prend donc à rêver que la prochaine fois, le PSS reprenne ce texte à son compte: il trouverait alors beaucoup d’alliés pour la campagne qui suivrait.

Références et liens

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