Initiative Toni Brunner «Retrait de la nationalité» (pour la commission)

En date du 16 janvier dernier, la Commission des institutions politiques a procédé à l'examen réalable de l'initiative parlementaire 14.450, "Retirer la nationalité suisse aux doubles nationaux impliqués dans des activités terroristes ou des opérations de combat", déposée le 26 septembre 2013 par le conseiller national Toni Brunner.

Session d’hiver 2015 – Cinquième séance – 07.12.15-14h30

14-450 – Initiative parlementaire
Brunner Toni. Retirer la nationalité suisse aux doubles nationaux impliqués dans des activités terroristes ou des opérations de combat

Cesla Amarelle, PS Vaud. – Pour la commission

En date du 16 janvier dernier, la Commission des institutions politiques a procédé à l’examen réalable de l’initiative parlementaire 14.450, « Retirer la nationalité suisse aux doubles nationaux impliqués dans des activités terroristes ou des opérations de combat », déposée le 26 septembre 2013 par le conseiller national Toni Brunner. En complément de ce qui vient d’être dit, j’aimerais insister sur le fait que cette initiative avait pour but de compléter la loi sur la nationalité, de sorte que les doubles nationaux ayant participé à des activités terroristes ou à des opérations de combat en Suisse ou à l’étranger se verraient automatiquement retirer la nationalité suisse ainsi que le droit de cité communal et cantonal.

Pour les défenseurs de l’initiative, qui constituent une minorité de la commission, les mercenaires djihadistes ne peuvent conserver plus longtemps leur nationalité suisse, parce qu’ils représentent un risque majeur pour le pays et sa population et qu’ils nuisent gravement à l’image de la Suisse. Pour compléter ce qui vient d’être dit par le rapporteur de langue allemande, j’aimerais insister sur quelques éléments qui me paraissent essentiels.

Tout d’abord, la majorité de la commission est parfaitement consciente – il faut le dire d’emblée – de la menace que représente le djihadisme et de la nécessité de prendre les mesures nécessaires pour y faire face. Elle estime toutefois que la disposition introduite par l’initiative serait purement symbolique, et j’insiste sur cette notion de symbole. Cela vient d’être dit: selon les propres sources du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et selon les propres sources réactualisées par Fedpol, très peu de personnes – en l’occurrence un seul cas – seraient concernées par cette disposition. Or, je vous rappelle que toute nouvelle mesure devrait pouvoir concrètement prouver qu’elle renforce la sécurité du pays, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’occurrence.

Compte tenu de la situation actuelle et à la suite des événements tragiques survenus en janvier et en novembre derniers, la commission souhaite que la task-force de lutte contre le terrorisme djihadiste, constituée par le Service de renseignement de la Confédération (SRC), le Ministère public de la Confédération, le Département fédéral des affaires étrangères et le SEM, puisse poursuivre son travail en vue d’améliorations concrètes et de réajustements s’ils sont nécessaires.

Les raisons qui poussent la commission à ne pas vouloir donner suite l’initiative sont d’abord liées au fait que retirer automatiquement la nationalité suisse à des personnes ayant commis des délits en Suisse ou à l’étranger pourrait, au contraire, conduire à ce que ces personnes ne puissent plus être extradées vers la Suisse pour répondre de leurs actes devant un tribunal suisse. Ensuite, il faut rappeler que le Code pénal – cela a été dit – prévoit suffisamment d’instruments pour poursuivre pénalement une personne qui commet des délits à l’étranger. En outre, certains actes préparatoires et la simple appartenance à une organisation criminelle sont déjà punissables. La loi sur la nationalité prévoit par ailleurs que le Secrétariat d’Etat aux migrations retire, avec l’assentiment du canton d’origine, la nationalité suisse à une personne si sa conduite porte atteinte aux intérêts ou au renom de la Suisse.

En l’occurrence, la présente initiative va bien plus loin, dans la mesure où elle exige un retrait automatique de la nationalité suisse. D’emblée et compte tenu de l’expérience qu’elle a acquise lors des discussions sur la mise en oeuvre de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers, la commission s’est clairement opposée à un tel automatisme pour des raisons de principe. La séparation des pouvoirs prévoit en effet que le législateur laisse une certaine marge de manœuvre aux autorités d’exécution, afin qu’elles puissent tenir compte des circonstances propres à chacun. En l’état, le seul effet de la mesure proposée par l’initiative – et j’insiste sur ce fait – serait d’instaurer une discrimination d’origine entre les Suisses eux mêmes, ce qui est totalement inacceptable au regard des principes démocratiques consacrés par la Constitution. Cette rupture d’égalité constituerait un dangereux précédent dans la loi sur la nationalité, qui pourrait engendrer d’autres discriminations d’origine dans le domaine de la nationalité dans notre pays. Cela enverrait en outre un message catastrophique aux doubles nationaux de notre pays. Je vous rappelle qu’ils sont un petit million.

Pour toutes ces raisons, la commission vous invite, par 13 voix contre 11 et 1 abstention, à ne pas donner suite à cette initiative parlementaire.

Références et liens

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