Carnaval bourgeois

La Suisse est un pays extraordinaire. Bien que la crise de 2008 ait frappé avec une grande violence la plupart des pays du monde, l’économie helvétique avait alors bien résisté à la tempête. Débarrassé de ses deux chantres ultralibéraux – Hans-Rudolf Merz et Christoph Blocher –, le Conseil fédéral avait su faire preuve de doigté dans la gestion de la crise, notamment grâce au recours au chômage partiel. Enfin, la Banque nationale suisse avait pour sa part contribué à cette politique de stabilisation pragmatique par le biais de la fixation d’un taux de change plancher avec l’Euro dès l’été 2011.

Le contraste entre cette maîtrise habile et l’agitation médiatico-politique à laquelle se livre depuis le 15 janvier dernier tant les partis bourgeois – principalement du côté alémanique – que notre ministre de l’Economie, est saisissant. Ainsi, nous avons droit à une multitude de prétendus remèdes (néo-)libéraux censés répondre au défi que représente le renchérissement de notre devise. Trois propositions méritent une attention particulière tant elles sont irresponsables pour l’avenir de la Suisse.

Premièrement, on ressort la vieille rengaine sur la nécessaire adaptation des prix sur le marché intérieur à la nouvelle donne monétaire. Ce type de gesticulation fait partie de l’arsenal discursif de la droite bourgeoise helvétique depuis la nuit des temps. A défaut de se fonder sur l’introduction de véritables mécanismes de contrôle des prix – interdiction des cartels d’importation (p. ex. pour les voitures), réduction des marges du commerce de détail dans le domaine alimentaire (p. ex. pour garantir un prix du lait équitable à nos agriculteurs) –, le discours libéral est d’une vacuité époustouflante.

Il en va de même de la deuxième proposition qui vise à diminuer la fiscalité. Rappelons que les cantons et les villes qui se sont risqués à réduire drastiquement leurs impôts ces dernières années, sont vite revenus à de meilleurs esprits en rehaussant leurs charges fiscales.

Enfin, pour ce qui est de vouloir baisser les salaires comme le laisse entendre à demi-mot le conseiller fédéral en charge de l’économie, Johann Schneider-Ammann, il s’agit de la velléité la plus saugrenue qu’on puisse imaginer. D’une part, même pendant la grande crise des années 1930, une baisse des salaires réelle généralisée n’a fort heureusement jamais été mise en œuvre en Suisse. D’autre part, ce plan est le moyen assuré pour empêtrer notre économie dans une crise de la consommation qui, pour l’instant, n’existe pas.

C’est dans les moments de changement qu’il faut savoir garder la tête froide. En l’occurrence, cela doit signifier qu’il faut préparer des plans de relance pour le cas où la pénalité de notre taux de change pour l’industrie d’exportation deviendrait insupportable, intensifier notre politique de formation et de reconversion professionnelles et augmenter le pouvoir d’achat des ménages suisses, notamment des familles, par le biais d’une augmentation des allocations familiales et des subsides à l’assurance-maladie.

Tout le reste n’est que carnaval.

Partager