
Le 19 avril 2015, le naufrage de 700 personnes en Méditerranée a projeté un panorama accablant de la politique d’asile suisse et européenne. A tous ces noyés s’ajoutent ceux – moins médiatisés – qui sont asphyxiés, ceux qui sont abandonnés en plein désert, ceux qui crèvent de faim et de soif, les victimes de la traite, tous les réfugiés dits « internes » qui n’ont pas pu quitter leur pays. Cette réalité de centaines et de centaines de milliers de migrants claque quotidiennement à notre face avec une cruauté jusqu’ici ignorée. Elle révèle l’ampleur – immense – des erreurs prévisibles de la politique migratoire européenne et suisse. Ces victimes font résonner toutes les injustices structurelles, innommables et innombrables de notre ordre établi.
C’est notre politique qui les oblige à faire appel aux passeurs et les contraint
à prendre tous les risques pour contourner les obstacles légaux.
Des décennies de calomnies haineuses et sans limites, de désinformations et de distorsions répétées contre les migrants et distillées à doses régulières aux peuples européens et suisse par les partis nationalistes tels que le FN et l’UDC, ont fini par aboutir à ces désastres. La rhétorique toxique xénophobe constitue aujourd’hui l’obstacle politique principal pour la mise en place de politiques migratoires réalistes et saines. Le levier haineux de l’extrême droite a fortement dopé le dispositif qui a été mis en place au début des années 2000 pour claquemurer l’Europe et pour garder à distance – avant qu’ils n’atteignent le territoire européen – tous les migrants venus du Sud. Quelles que soient les causes de leur exode et alors que la moitié d’entre eux (Erythréens, Syriens) sont des réfugiés, tout est fait pour les renvoyer vers des pays de transit où ils croupissent dans des camps ou sont refoulés en chaîne vers des pays qu’ils ont justement cherché à fuir à tout prix.
Continuer à cautionner ce dispositif, c’est oublier que c’est bien la politique hyper-restrictive des visas combinée avec l’alourdissement des sanctions pénales pour les transporteurs et le contrôle strict des frontières terrestres et maritimes (drones, radars, etc.) qui empêchent les réfugiés d’utiliser les moyens usuels de déplacement. C’est oublier qu’à une majorité écrasante le peuple suisse a voté le 9 juin 2013 pour supprimer toute possibilité de déposer une demande d’asile dans les ambassades. Et que c’est notre politique qui les oblige à faire appel aux passeurs et les contraint à prendre tous les risques pour contourner les obstacles légaux.
Depuis toujours, les mouvements migratoires sont irréversibles et il est impossible de les arrêter. Avec l’énergie du désespoir, les hommes réussissent toujours à franchir les frontières. Nous devons cesser de nous comporter en autistes et admettre cette réalité. Le seul choix qui s’offre à nous est de savoir si nous préférons la subir ou si nous préférons la réglementer. Au lieu de prohiber, nous devons privilégier des nouvelles voies légales de régulation migratoire : reconnaître les besoins de protection en augmentant massivement les contingents de réfugiés, suspendre progressivement les transferts Dublin vers l’Italie tant que la situation y est tendue et tout faire pour que cessent les discours toxiques anti-étrangers qui empoisonnent nos politiques. Avec la dignité qui s’impose.