« D’ailleurs c’est toujours les autres » – Discours prononcé lors du vernissage de l’exposition Ai Weiwei au MCB-A

Discours prononcé le jeudi 21 septembre 2017 au Palais de Rumine à l’occasion du vernissage de l’exposition Ai Weiwei au Musée cantonal des Beaux-Arts.

 

Monsieur le Directeur du Musée cantonal des Beaux- Arts,

Monsieur le Président de la Fondation Gustave Buchet,

Mesdames et Messieurs,

Chers Amis,

 

Je ne cache ni mon plaisir, ni ma fierté, de pouvoir vous adresser ces quelques mots à l’occasion de cet évènement exceptionnel, tant pour le mcb-a et le Palais de Rumine, que pour le Canton de Vaud. Et sans forfanterie aucune, j’ose l’affirmer, pour la Suisse culturelle dans son ensemble.

L’exposition que nous vernissons ce soir a en effet une portée, une qualité et une symbolique majeure.
 Je tiens à remercier ici tout particulièrement M. Bernard Fibicher, l’équipe du mcb-a, ainsi que toutes les personnes qui ont œuvré à la réalisation de cette très grande exposition majuscule.

Aujourd’hui, nous célébrons la venue, en terres vaudoises, de l’un des artistes les plus influents de cette décennie. Ai Weiwei est sans conteste l’un des artistes les plus emblématiques et audacieux de sa génération. Le regard critique qu’il porte sur la société, les manifestes créatifs qu’il élabore et la liberté d’expression polymorphe qu’il clame et revendique, à chaque création, confirment que l’art est un combat qui peut prendre la forme, dans certaines situations, d’une dissidence politique.

Par sa filiation, cet artiste partage, depuis tout jeune et avec sa famille, l’exil imposé à son père poète. A l’instar d’autres artistes et intellectuels, en Chine et dans le monde, il a payé de sa personne pour son engagement en faveur de la démocratie, des droits humains et des libertés individuelles.

Ses œuvres récentes touchent tout particulièrement, car elles interprètent, avec un œil critique, la complexité contemporaine des problématiques globales auxquelles notre Humanité se confronte, telles que les migrations ou la dépendance économique. Son engagement humanitaire, en visitant des camps de réfugiés et en sensibilisant à leur situation les villes européennes, est en résonnance directe avec sa propre vie et ses convictions profondes.

Aujourd’hui à Lausanne, c’est donc à la rencontre d’un artiste entier et encyclopédique que nous vous invitons. Ai Weiwei pose avec force, la question de la destruction et de la préservation de l’héritage culturel, en présentant, en détournant, en superposant, en recréant, avec les moyens d’aujourd’hui, des objets traditionnels. Son acuité d’analyse du présent et sa capacité à le dépasser prend sa source dans une connaissance profonde de la tradition culturelle de son pays, avec pour objectifs la remise en question de ce qui est établi et l’émancipation pour horizon.

Faire vivre notre patrimoine en l’exposant, en le questionnant, en le confrontant à la société d’aujourd’hui est une manière puissante de le faire parler et de lui donner une claire actualité. Ce parti du décloisonnement, souvent provocateur, proposé par l’artiste résonne donc fortement à Rumine où plusieurs disciplines se croisent : l’art, la zoologie, la géologie, l’archéologie, la numismatique et l’histoire.

Au cours de votre parcours, vous découvrirez donc par exemple un dragon suspendu qui déploie ses ailes en bambou et papier de soie. Cette créature mythologique, hommage à la culture chinoise, qui s’élance juste au-dessus des animaux empaillés (représentants de la faune européenne) et transfigure le patrimoine zoologique. C’est l’un des pouvoirs de l’art que de susciter de nouveaux regards sur les choses. Et cette installation poétique et matériellement légère nous y invite !

Et puisque nous sommes dans un ancien Parlement et qu’il est question d’un dissident politique, il me semble opportun de rappeler que ce qui rapproche aujourd’hui l’art de la politique, c’est le devoir de s’intéresser aux rapports d’associations pour y trouver de nouvelles inspirations. L’une des principales caractéristiques de l’art d’aujourd’hui c’est l’établissement de maillages entre des mondes normalement compartimentés. L’artiste tend à devenir une sorte de polytechnicien assemblant des matériaux, des techniques mais aussi des expressions, des modes de représentation de plus en plus hétérogènes. Cette recherche de communauté entre des mondes a priori séparés est une trame profonde, radicale, qui est au cœur de nouvelles pratiques d’émancipation.

Mesdames et Messieurs, ce rendez-vous d’aujourd’hui est aussi révélateur des futurs enjeux artistiques du Canton de Vaud. L’une des lignes-forces du nouveau Musée des beaux-arts qui est à quelques pas d’ici s’inscrit précisément dans la rencontre, voire la confrontation entre des époques et des esthétiques différentes, ancrant clairement l’ouverture du Musée dans un dialogue entre art contemporain et mise en valeur des artistes et des œuvres qui font la richesse et la réputation de ses collections. Ce n’est bien sûr pas la première fois que le mcb-a propose ainsi une rencontre-choc et tisse des liens entre continents et d’autres mondes artistiques. Mais c’est une orientation à laquelle les nouveaux espaces du Musée à la gare pourront donner une ampleur et des développements inédits.

C’est dans cet esprit que l’exposition Ai Weiwei que nous découvrons cette semaine prend place dans tous les espaces du Palais : elle va à la rencontre des collections des 4 musées qui vont y rester. Ainsi, cette dernière exposition du mcb-a, dessine déjà l’avenir de Rumine. Car celui-ci se jouera, lui aussi, dans cette recherche de dialogue entre les disciplines. Cette ambition se matérialisera en 2018 avec une exposition commune aux 4 musées qui resteront à Rumine.

Quant au futur du mcb-a, il va se jouer, comme vous le savez, sur un autre site. Je voudrais rappeler ici l’enjeu culturel plus vaste et ambitieux dans lequel s’inscrit cet avenir. La future plate-forme muséale du Canton, Plateforme10, a été pensée pour concrétiser l’émulation entre les arts et les esthétiques ; stimuler la rencontre et les échanges entre des publics pluriels, entre les artistes, entre les institutions dans le but de se questionner sur le monde d’aujourd’hui. L’ouverture du nouveau mcb-a est prévue à l’automne 2019, tandis que le second bâtiment, abritant le Musée de l’Elysée et le mudac, devrait ouvrir en 2022.

Par l’exposition mettant en lumière les œuvres d’Ai Weiwei, le mcb-a préfigure ainsi à elle seule la volonté d’incarner le dialogue entre les savoirs et les échanges entre Art et Cité. C’est dans cette perspective que nous travaillons tous pour construire, avec cohérence, le futur des musées cantonaux et je remercie de leur engagement tous les partenaires impliqués dans cet objectif passionnant.

Mesdames, Messieurs, cette exposition est enfin aussi une histoire de fidélité et d’amitié : je tiens à remercier, conjointement, Ai Weiwei et Bernard Fibicher de ce cadeau magnifique qu’ils nous offrent aujourd’hui à Lausanne. Je suis convaincue que les questionnements et réflexions, qui nous poursuivront encore longtemps après avoir visité l’exposition, constituera la meilleure des manières de leur manifester, à tous deux, notre vive reconnaissance.

Vous avez vu que, la photo de l’affiche nous invite à ouvrir tout grand les yeux ! Devant l’injustice, proche et lointaine, tout comme aussi devant les moments fugaces de beauté partagée. Sans naïveté mais avec fermeté, je crois que si dans nos sociétés, nous apprenions à écouter, avec plus de force, le message des artistes, bien ancrés dans le réel, quoi qu’on en dise, notre monde serait meilleur, plus épanoui et plus émancipé.

Mesdames et Messieurs, c’est sur ces mots d’espoir que je vous souhaite une excellente soirée et une belle immersion dans l’univers d’Ai Weiwei.

 

Cesla Amarelle

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